samedi 7 février 2015

Un jukebox dans la tête, Jacques Poulin.

Une surprise de taille attend Jack Waterman, l'écrivain le plus lent de la ville de Québec, lorsqu'il prend l'ascenseur ce matin-là. Une rousse de vingt-cinq ans, mince et jolie, portant des lunettes orangées, lui donne des palpitations en lui déclarant en douce : « J'ai lu tous vos livres et... je vous ai fait une petite place dans mon coeur. »
 
Commence alors entre Jack et Mélodie un chassé-croisé d'affections qui hésitent, avancent, oscillent, bafouillent et glissent vers une fragile histoire d'amour à mesure que la machine à souvenirs déroule les aventures et mésaventures de chacun. L'écrivain est étonné de s'éprendre de la jeune femme, car depuis qu'il a été victime d'un accident vasculaire cérébral à Paris, il doute que son coeur puisse à nouveau battre à l'unisson d'un tel sentiment.
 
Même si Waterman, cédant parfois à la mélancolie (que Léo Ferré appelait « un désespoir qui a pas les moyens »), évoque au cours de leurs rencontres irrégulières son agression à l'arme blanche à Key West, sa fuite de Paris à cause d'un voisinage tumultueux et l'incendie de sa maison où ses manuscrits ont brûlé sous ses yeux, ce qui est arrivé à Mélodie le touche bien davantage. Orpheline, celle-ci a été trimballée d'un centre d'accueil à l'autre, maltraitée par la vie, la drogue, la Direction de la protection de la jeunesse, et les hommes qui en bavaient pour elle.
 
Et justement, le voisin de palier de Jack Waterman pourrait bien être un de ces hommes troubles avec qui elle a eu maille à partir, un videur de bar nommé Boris. Voilà qui met Jack dans tous ses états et lui donne un courage qu'il n'aurait pas autrement. Mais ses poings seront-ils à la hauteur de sa bravoure lorsqu'il décidera de régler son compte à cet ancien lutteur ?
 
On s'en doute, cette histoire cousue d'histoires est aussi le récit d'une écriture, et celle de Jacques Poulin est toujours empreinte de cette fine petite musique qui résonne, feutrée, de roman en roman, à travers la ville de Québec, depuis bientôt cinquante ans. Une petite musique d'accordéon, un brin nostalgique et féline, qui serre le coeur et le rassure au fil des mesures et des amours qui naissent et meurent, mine de rien.
 
Voilà une présentation très exhaustive pour un si court roman!  Après avoir fait une lecture intensive des romans de Jacques Poulin en 2012, je m'étais éloignée de l'écrivain, mais c'est avec un grand plaisir que je l'ai retrouvé dans Un jukebox dans la tête.  J'ai retrouvé l'amoureux, l'amoureux des livres, des femmes et du métier d'écrivain.
 
"J'étais heureux de constater qu'elle faisait la distinction entre "création" et "fabrication", car il me semblait que ce dernier terme s'appliquait en tous points à certains collègues peu exigeants qui produisaient un livre par année." (p.29)
 
"De toute façon, quand on écrit, on ne s'occupe pas de la vérité.  On s'occupe de la vraisemblance.  On transforme les choses pour qu'elles paraissent vraies. (p.51)
 
La ligne est toujours mince entre Jack Waterman et Jacques Poulin, et en alternant les histoires de la voisine Mélodie et celles de Jack, l'auteur arrive à nous faire oublier que nous sommes en pleine fiction.  Il nous raconte l'enfance, les mésaventures et les voyages de Jack Waterman.  Mélodie ne perd rien au change, car elle a aussi quelques fantômes dans l'armoire et c'est en les sortant pour Jack qu'elle entame une certaine guérison.
 
"J'écrivain une page par jour. Un rythme lent, mais je calculais qu'une année de travail assidu me donnait un brouillon de deux cent soixante pages.  Il fallait envisager une autre année d'efforts pour obtenir une deuxième version.  J'entreprenais ensuite les corrections, interminables mais nécessaires, qui prenaient fin au moment où, dans un mélange de soulagement et de tristesse, je me résignais à ne plus chercher la perfection." (p.34)
 
Vous l'aurez compris, ce que j'aime chez Jacques Poulin, ce sont ses réflexions sur le métier d'écrivain et tous les indices qu'il laisse de page en page sur sa méthode personnelle. Affublé de douleurs lombaires qui lui imposent des positions inusitées pour écrire et d'un cœur nécrosé qui ne peut vraisemblablement plus aimer, Jack Waterman voit l'amour et l'écriture de façon plus "technique" qu'émotionnelle!
 
Lire Jacques Poulin, c'est aussi se balader dans les rues de ma ville, Québec. Ici, il sort de ses limites habituelles en passant par Ste-Foy, plus à l'Ouest. Et un roman de l'auteur sans une visite à l'Île d'Orléans, ce ne serait pas un vrai roman!  Extraits de chansons et de livres complètent également le texte.  Tout y est pertinent.
 
Voilà!  Mise à part les dernières pages où la Petite Sœur règle tout à coups de baguette magique, j'ai grandement apprécié ce roman.  Probablement un de mes préférés de Jacques Poulin, même si je ne les ai pas tous lus à ce jour.
 
ISBN: 9782760912793
 
 

10 commentaires:

yueyin a dit...

J'aime Poulin, alors autant te dire que j'attends celui-ci avec impatience :-)

Jules a dit...

Yueyin: version papier ici! :p

Suzanne a dit...

Veinarde va. je l'attends, je l'espère avec vraiment hâte de le lire.

Jules a dit...

Suzanne: :O)

Le Papou a dit...

Poulain est un de mes auteurs québécois préféré avec le regretté Soucy.
Le Papou

Jules a dit...

Le Papou: Alors, je crois que celui-ci te plaira!

Paul-André Proulx a dit...

J'ai aimé les deux tiers de ce roman. Le dernier tiers devient gazant parce que c'est très répétitif comme structure. C'est toujours l'héroïne qui raconte chaque soir une tranche de sa vie à Jack Waterman. On rapporte des faits au lieu de les mettre en situations. De plus, il y a beaucoup de naïveté dans ce roman. Et le récit en tranches quotidiennes comme si on suivait la série 30 vies ternit quelque peu la crédibilité du propos. Tout de même, c'est bien. L'économie de l'écriture et la manière de monter une trame font de ce roman une oeuvre bien ficelée.

Grominou a dit...

Pas encore lu, c'est tentant!

Jules a dit...

Paul-André: je suis d'accord avec vous, mais lorsque c'est Jacques Poulin qui procède ainsi, je pardonne un peu plus! :)

Jules a dit...

Grominou: :)